Saison 2 ⬝ Épisode #04
Javier Fábregas | Deuux+Dix
Comment vendre l'Europe ?
Véritable guide dans le monde complexe de la communication institutionnelle européenne, Javier est un expert reconnu et un fin stratège ayant exploré les coulisses des projets européens.
Javier Fábregas
Deuux+Dix
Ancien journaliste espagnol devenu expert en communication institutionnelle, ce professionnel a bâti une carrière internationale en transformant son amour des médias publics en stratégies digitales et missions terrain, visant à rendre les institutions transparentes et utiles aux citoyens du monde entier.
L’Art Subtil de la Communication Institutionnelle : Entre Défis et Anecdotes
Quand la communication devient un enjeu démocratique
La communication institutionnelle, voilà un domaine dont on parle peu, et pourtant il influence directement notre perception des institutions publiques. Si aujourd’hui nous avons accès à des informations sur les politiques européennes, les décisions économiques ou encore les accords internationaux, c’est grâce à un travail souvent invisible mais essentiel : rendre intelligible et accessible ce qui ne l’est pas toujours.
Javier Fábregas, expert en communication institutionnelle, a partagé son expérience et ses réflexions sur ce sujet. Un parcours qui commence dans le journalisme, passe par les coulisses des institutions européennes et le mène, à travers le monde, à décoder les subtilités de la communication gouvernementale.
Mais alors, comment fait-on parler une institution ? Comment s’adresse-t-on à des millions de citoyens aux cultures et langues différentes ? Et surtout, quelles sont les erreurs à ne pas commettre ? Javier nous plonge dans les coulisses de ce métier méconnu, à travers des anecdotes parfois cocasses, souvent révélatrices des enjeux de notre époque.
Des débuts dans le journalisme à l’expertise institutionnelle
Avant de devenir consultant pour la Commission européenne et d'autres institutions, Javier a d'abord exercé comme journaliste. Passé par la radio, la télévision, puis l’un des premiers portails d'information en ligne, il comprend vite la puissance des médias et le rôle qu’ils jouent dans la construction de l’opinion publique.
Mais un jour, il change de camp. Il passe « de l'autre côté », là où l’information n’est plus seulement rapportée, mais façonnée, structurée et diffusée par des institutions. Il se spécialise alors dans la communication institutionnelle, un domaine encore balbutiant à l’époque, où il faut tout inventer.
De la communication politique à la communication institutionnelle
La communication institutionnelle se distingue fondamentalement de la communication politique. Quand un ministre parle, son objectif est souvent de convaincre, d’influencer ou de séduire. En revanche, une institution ne vend pas un programme électoral : elle doit informer, expliquer, être transparente sur ses actions.
« Les institutions sont là pour servir, pas pour se vendre », insiste Javier. Et pourtant, la frontière est parfois mince. Un ministère, par exemple, doit-il communiquer sur ses réformes comme une entreprise ferait la publicité d’un produit ? Comment s’assurer que l’information donnée soit perçue comme neutre et non comme un outil de propagande ?
Autre défi : l’accessibilité. Comment rendre un texte juridique intelligible à un citoyen lambda ? Comment expliquer une réforme fiscale sans sombrer dans le jargon technique ? Un vrai casse-tête pour ceux qui, comme Javier, doivent rendre digestes des sujets complexes sans les dénaturer.
Le choc du digital : quand les institutions doivent s’adapter
Autrefois, la communication institutionnelle passait uniquement par la presse, la télévision et la radio. Puis le numérique est arrivé, chamboulant tout.
« En 2002, quand j’ai commencé à travailler au Comité économique et social européen, certaines directions n’avaient même pas d’ordinateurs », raconte Javier. « Aujourd’hui, on ne peut pas concevoir une communication institutionnelle sans Internet. Mais cette transition ne s’est pas faite sans heurts. »
Un exemple frappant est le portail Europa, censé regrouper toutes les informations des institutions européennes. Lancé officiellement en 2010, il met fin à une cacophonie numérique où chaque institution développait son propre site, dans son coin, sans coordination.
« Pendant 10 à 15 ans, chacun faisait son site web à sa sauce », se souvient-il. « Résultat : des plateformes illisibles, des informations éparpillées et des citoyens perdus dans un dédale numérique. »
Mais le digital n’a pas réglé tous les problèmes. Aujourd’hui encore, la communication institutionnelle peine à rivaliser avec la rapidité et l’agilité du secteur privé. Et puis, il y a un autre défi : la méfiance croissante du public. Comment établir une communication efficace dans une époque où tout message officiel est immédiatement suspecté d’être biaisé ?
Anecdotes et moments insolites : quand la communication institutionnelle dérape
Si la communication institutionnelle peut sembler austère, elle n’est pas exempte d’erreurs parfois… mémorables.
Comme cette fois où, lors d’un projet au Costa Rica, un graphiste missionné pour concevoir des supports visuels s’est permis un léger ajustement du drapeau européen. « Il avait dessiné 11 étoiles au lieu de 12 », raconte Javier en riant. « Quand je l’ai appelé pour comprendre, il m’a répondu très sérieusement : ‘J’ai enlevé une étoile à cause du Brexit.’ »
Personne ne s’en était rendu compte. Pire : l’erreur a été diffusée sur des affiches, des brochures et même lors d’une conférence internationale. Il a fallu un budget supplémentaire pour tout corriger…
Et que dire de cette campagne européenne anti-tabac qui voulait sensibiliser les jeunes en remplaçant la cigarette par un poireau ? « L’idée était de montrer que fumer était absurde », explique Javier. « Mais on s’est retrouvés avec une pub où un adolescent commandait un paquet de cigarettes et recevait… un poireau. »
Le problème ? La Commission européenne venait de dépenser des millions pour promouvoir la consommation de légumes. Autant dire que comparer un poireau à une cigarette n’a pas fait l’unanimité auprès des producteurs agricoles…
Conclusion : la communication institutionnelle, un défi permanent
Si la communication institutionnelle est souvent invisible, elle est pourtant au cœur de notre rapport aux institutions. Elle façonne notre compréhension des politiques publiques, influence nos perceptions et joue un rôle essentiel dans la transparence démocratique.
Pour Javier, il s’agit d’un équilibre délicat entre pédagogie et neutralité, accessibilité et précision, proximité et crédibilité.
Et si, comme il le souligne, les institutions européennes ont encore du chemin à parcourir pour fluidifier leur communication, il n’en demeure pas moins fascinant d’observer l’évolution de ce domaine à l’ère du numérique.
Car une chose est sûre : dans un monde où l’information circule plus vite que jamais, savoir communiquer est devenu un enjeu majeur. Et les institutions, qu’elles le veuillent ou non, doivent s’adapter à cette nouvelle réalité.
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